L'automne dernier, j'ai été conviée par le secrétaire d'une association pour une réunion, celle de "la commission des gâteaux". Gloup... et je n'ai pu éviter de me "réunir" et de perdre mon temps. N'aurait-il pas été possible de régler le problème du buffet en quelques échanges de mails, pour tout dire, en deux coups de cuiller à pot ? Non.
"Alphonsine, reste détendue, prends les choses avec philosophie, et tu en tireras des conséquences sociologiques dont tu n'imaginais même pas l'existence". Soit, je ferai contre mauvaise fortune bon coeur.
Je suis rentrée atterrée, démoralisée, et Monsieur Alphonse qui était de garde n'était même pas là pour me consoler.
Oh, ce n'était pas la réunion en tant que telle, ni son titre ronflant et plomplon qui m'ont donné le coup de grâce, c'étaient les deux mères présentes.
La première, celle du fils qui nous accueillait, en fait c'était elle qui nous accueillait, elle nous a bien fait comprendre que c'était chez elle, mais le fils aussi était chez lui, alors, pour montrer qu'il commandait, il a ordonné à sa maman de rester avec nous...
La deuxième, femme d'une soixantaine d'années, pomponnée, fardée, tirée à quatre épingles, est arrivée en fanfare, accompagnée par son discret mari et de sa fille fantôme. Avez-vous déjà vu une fille fantôme ? Je vais essayer de décrire la fille fantôme, mais c'est vraiment difficile, je fais appel à toute votre sagacité.
Une fille fantôme, c'est un être de sexe féminin, presque invisible, qui évolue dans l'ombre de sa maman. Elle dit gentiment "bonjour madame", fait la bise quand il faut, puis se fait si discrète qu'elle disparaît comme par enchantement. C'est tout juste si on pense à lui avancer une chaise. Elle ne répond que si on l'interroge, n'a pas d'opinion autre que celle de sa maman, et si par impossible, elle s'avise d'avoir une idée, elle la susurre pour faire croire que l'idée vient de sa maman (si l'idée est bonne). Dans le cas contraire, sa maman lui jette un regard noir et scandalisé qui fait disparaître une nouvelle fois la fille.
Spectaculaire, incroyable, mais triste à mourir, surtout quand la mère assène "Mes deux filles restent encore un peu avec moi à la maison", ou qu'elle échange manu militari, sans lui demander son avis, les assiettes de gâteau parce qu'elle voulait une part plus petite.
Voilà pour la deuxième mère.
La première est la même et pourtant toute autre. Elle rappelle qu'elle va nous laisser réunioner en paix, et fait mine de sortir, mais c'est pour que son fils lui dise "mais non, reste donc". Sans se faire prier, elle saisit une chaise et s'installe confortablement.
C'est la même aussi qui est venue me voir (nous avions proposé à son fils de nous accompagner à un concert, et nous avons été obligés de marcher vite 1/2 heure aller, puis 1/2 heure retour dans le vent et la pluie) pour me dire "Il est rentré malade". J'ai eu une réponse fantastique : "Ah". Pas le "ah" interrogatif, ni le "ah" insouciant, non, le "ah" de la personne qui comprend bien le problème mais se fout éperdument des conséquences, ou plutôt, qui prend acte de la situation. Je lui ai fait un sourire, et je suis partie !
Précision : le fils a 46 ans, la fille approche des 35 !
Autre précision : inutile de penser rapprocher les deux, c'est parfaitement impossible, cela n'entre pas dans les voies des mamans respectives. Et les deux enfants sont bien trop soumis.
J'ai été retournée. Oh, je n'ignore pas qu'il existe trop, beaucoup trop de mères possessives, mais en voir deux d'un coup, c'est insurmontable. Elles ont d'ailleurs toutes un point commun : un mari adorable, discret, un peu fantôme lui aussi, qui jardine merveilleusement, et surtout longuement ! Quelle détresse, que de vies gâchées pour des vieilles femmes égoïstes. Je ne trouve pas de mot assez dur pour les qualifier.