Lorsque les enfants étaient petits, j'étais seule maître à bord (avec Monsieur Alphonse, il va de soi). Je décidais de tout (et je m'en plaignais), je les tirai avec force en promenades, je leur imposais de se laver, puis de sortir de la baignoire. Bref, j'attendais avec impatience le jour où ils seraient plus autonomes et raisonnables.
A ce jour, ils sont plus autonomes et parfois plus raisonnables. Ils vont sous la douche si je le leur demande, et en sortent assez vite. Ils viennent se promener en râlant et reviennent contents. Ils font leurs services avec efficacité et ne grognent plus que rarement.
Par contre, ils sont insupportables parce qu'ils deviennent incisifs et se permettent de me dicter ma conduite.
Amélie passe doucement son doigt sur le passepoil de ma jupe pour me faire comprendre qu'il est mal posé et qu'on voit la couture du biais. Ma réflexion "Je ne te paye pas des cours de couture pour que tu puisses critiquer mon travail" l'a simplement fait rire.
Albert fait des commentaires off sur mes articles de blog : "le dernier ressemble à un mauvais reportage, l'autre jour c'était mal écrit, et puis ton choix de vocabulaire n'était pas judicieux. Tu devrais t'abstenir de poster des articles moins bons, et te remettre à publier des articles truculents."
Antoinette m'a demandé si j'avais bien pris ma résolution de carême et m'a indiquée celle qui me conviendrait. Ben voyons. Elle en a immédiatement ajouté une autre lorsqu'un mot d'oiseau s'est malencontreusement envolé de ma bouche.
Anatole me fait sévèrement remarquer que ses petits frères sont éduqués avec un laxisme déplorable vu qu'ils n'aident jamais. C'est oublier un peu vite qu'il vient tout juste de raser son poil dans la main.
Ambroise déplore mon manque d'esprit qui me permettrait de comprendre l'intégralité de ses jeux de mots, et de répondre avec justesse et exactitude à ses devinettes.
Augustin m'organise avec conscience tous ses mercredis après-midi. C'est un garçon d'extérieur qui aime sortir et se promener. Il m'entraîne dans des balades où il passe son temps à râler parce qu'il aurait aimé prendre le bus !
Voilà pourquoi je ne peux me cristalliser, je suis dans l'obligation d'avancer, de me perfectionner, de faire de plus jolis points de couture, d'écrire des articles plus picaresques, de suivre avec exactitude les efforts surhumains qui me sont impartis, de revoir mes notions d'éducation avec mes plus jeunes enfants uniquement, de faire travailler mon cerveau pour comprendre les circonvolutions des savants, et de dominer l'automate distributeur de tickets de bus que je ne sais toujours pas utiliser.
Je n'ai pas fini d'avancer...