Participation aux Plumes 32 : écrire un texte sur le silence avec les 14 mots suivants :
Essentiel, réserve, regard, félicité, observer, musique, minute, nuit, agneau, son, muet, méditation, apaiser, angoissant, justesse, jacaranda, jouer.
- J’ai peur.
- (D’une voix ensommeillée) Que se passe-t-il ?
- J’ai peur.
- Va te coucher, c’est l’heure de dormir.
- Mais papa, j’ai peur.
- Chut, Armand, tu vas réveiller maman.
J’étais en pyjama, il faisait nuit, et il
fallait que je réveille papa, parce que j’avais peur. Papa s’est levé, il n’a
même pas trop grogné, il est même resté muet, mais je crois qu’il ne voulait
surtout pas réveiller maman. Il n’a même proféré aucun son lorsqu’il s’est
cogné dans la commode en jacaranda. Pourtant, il s’est tenu le pied en sautant
sur l’autre. J’ai retenu mon souffle et j’ai attendu. Enfin, il a posé son pied
par terre, m’a pris par la main et m’a dit dans un murmure : « Viens
avec moi ».
Tous les deux, nous avons descendu l’escalier,
sans allumer la lumière. Avec ma main dans celle de papa, je n’avais plus peur.
J’étais bien. J’ai levé la tête pour l’observer une minute, son regard était
doux. Alors j’ai eu l’idée de profiter de l’occasion d’avoir papa pour moi tout
seul. Mes cinq frères et sœurs dormaient, eux, mais moi j’étais avec papa, et
il était 3 heures, j’avais entendu sonner l’horloge.
Bien en sécurité avec papa, j’étais apaisé,
j’aurais pu aller dormir, et je m’apprêtais à lui dire que j’étais fatigué
lorsque je me suis mis à trembler : je me souvenais de mes peurs.
- Papa, j’ai peur.
Ce qui a été bien, c’est que papa m’a pris au
sérieux. Il ne s’est pas moqué, il ne m’a pas renvoyé dans mon lit, il ne m’a
pas grondé, il m’a regardé en me scrutant et m’a dit : « Voyons ça,
Armand, il faut que tu m’expliques de quoi tu as peur ».
- Je me suis réveillé cette nuit, comme
souvent, mais cette fois je n’ai pas pu me rendormir, parce qu’il y a du
silence. Et ça me fait peur.
Papa m’a semblé méditer. Me fixant, il m’a dit
avec justesse :
- Armand, la nuit n’est pas angoissante. Elle
n’est d’ailleurs pas silencieuse.
- Mais si papa, elle est silencieuse. Tu le dis
toi-même le soir à Arthur : « Maintenant fais silence, et arrête ta
musique. Jouer fait du bruit, le soir il est essentiel de savoir faire
silence. Vous pouvez lire, mais je ne veux rien entendre».
- Armand, si je vous demande le silence le
soir, c’est parce que le bruit est réservé au jour. Si tu enlèves le bruit des
hommes le jour, il n’y a plus que du silence, surtout au plus chaud de la
journée. Par contre, la nuit est pleine de bruits. Ces bruits, tu ne peux les
entendre que si tu cesses toute activité. J’aime entendre ces bruits, c’est
pourquoi je vous demande de rester calmes. As-tu déjà entendu les bruits de la
nuit ?
- Non papa.
- Ecoute, et dis-moi ce que tu entends.
- C’est quoi ce bruit ?
- Celui du frigo.
- Oh, et ce « tap, tap » ?
- Le bruit des canalisations.
- J’ai entendu une voiture dehors.
- Viens, Armand, sortons ensemble dans la nuit.
Nous sommes sortis, papa m’a à nouveau tenu par
la main. Et pour une fois, nous sommes sortis pieds nus, sans devoir mettre
quelque chose aux pieds. Je crois que la nuit les parents oublient les
règles !
- Et maintenant, Armand, qu’entends-tu ?
Papa chuchotait, et j’ai fait de même :
- Une branche qui craque.
- Regarde bien, c’est un hérisson qui va
chercher des limaces. Il se nourrit la nuit.
- Et ce frottement, c’est quoi ?
- Les feuilles des arbres dans le vent léger.
- Oh, c’est l’agneau de Monsieur Cormillard.
- Et son chien lui répond de dormir ! Et
peut-être qu’il te dit à toi aussi qu’il est l’heure de dormir ? Mais
attends, regarde toutes ces étoiles. Le ciel est magnifique.
Papa avait oublié qu’il fallait que je me
couche. Il a commencé à m’expliquer la disposition des étoiles, la Grande Ourse
et l’Etoile Polaire, puis la Petite Ourse et les constellations qu’il voyait.
Il m’a expliqué comment les hommes se dirigeaient avec les étoiles, sur terre
ou sur mer. Il en savait des choses, papa. J’ai serré ma main dans la sienne.
Il ne disait plus rien, et je regardais les étoiles, en écoutant les bruits de
la nuit. C’était beau, et c’était rassurant. J’aimais maintenant la nuit sans
réserve.
- Armand, est-ce que tu entends le bruit des
étoiles ?
- Oui.
J’ai chuchoté. Et j’ai écouté. Les étoiles
riaient d’un son cristallin. Elles se racontaient des histoires, c’était
tellement joli à entendre. Mais voilà que papa m’a secoué la main :
- Armand, il faut te coucher. Est-ce que ça
ira ?
- Oh oui, papa, je n’ai plus peur maintenant.
Et je t’aime papa.
- Moi aussi je t’aime mon grand.
Il m’a pris dans ses bras, et m’a porté dans
les escaliers et jusqu’à dans mon lit. Il m’a bordé et embrassé.
Mais pourquoi donc cet épisode si doux m’est
revenu à l’esprit ? Il fait nuit, quelqu’un me secoue le bras et me
dit tout doucement :
- Papa, j’ai peur.